Il y a des films qui marquent à vie. Dune, réalisé par David Lynch en 1984, fut pour moi de ceux là, notamment en raison son démarrage : Une femme très belle avec une coiffure extraordinaire apparaît en plan serré (la princesse Irulan) sur fond étoilé et déclame lentement et avec un accent fascinant « Un commencement est un moment d’une extrême délicatesse (…) ».
Depuis lors, cette phrase m’a habitée, d’une part parce je l’ai trouvée puissante et pertinente et d’autre part parce que la mise en scène et la voix étaient très congruentes avec le propos.
Si cette phrase est venue résonner en moi au démarrage de toute rencontre avec un autre être vivant et en particulier pour ces rencontres qui deviennent des histoires d’amour ou d’amitié, c’est dans mon travail qu’elle a pris un sens particulièrement aigu. Cela fait maintenant de nombreuses années que j’anime ou forme des groupes et plus le temps qui passe, plus de réalise l’importance de la délicatesse du commencement ; si la façon dont débute une journée lui donne sa couleur, la façon dont commence une animation a selon moi un impact considérable sur son déroulement ultérieur.
L’art de bien débuter un séminaire
Je suis convaincu que ce qui se passe dans les 20-30 premières minutes crée (ou non) la piste d’envol du séminaire et en particulier d’un séminaire de créativité. Tous les participants arrivent avec leurs soucis, leurs préjugés, leur méfiance et leurs peurs qui sont légitimes. Ils ont dépensé de l’argent pour être là, ou cela leur prend du temps qu’ils pourraient consacrer à d’autres tâches, en encore ils se demandent si ces histoires d’intelligence collective et de créativité c’est du sérieux, bref, beaucoup de préoccupations sont présentes pour eux. Ils vont passer les 20 premières minutes à chercher tous les moyens de justifier la présence et les petite voix de tous ces personnages intérieurs, même s’ils se font discrets à l’extérieur. Un peu comme s’il y avait une petite voix en chaque participant qui cherche à répondre à cette question « Bon je fais confiance au pilote de l’avion ou pas ? je me détends et je lâche le contrôle ou pas ? Je reste ou je me casse ? »… Chaque mot, chaque intonation, chaque attitude de l’animateur(trice) et évènement vont être ainsi inconsciemment analysés.
Dès lors, l’animateur-formateur-facilitateur gagne à être habité par cette conscience de la délicatesse du moment, sans bien sûr qu’elle soit inhibitrice et source de stress (ce qui risque d’être immanquablement capté et analysé !).
Cette conscience peut prendre plusieurs formes.
- Prendre soin des aspect visuels de la salle, que là où se passe le démarrage soit agréable, cocoon, voire beau.
- Prendre soin de la forme que prendre la démarrage de l’atelier ou du séminaire : S’agit il de surprendre ? de faire sourire ? de sécuriser ? de toucher ? de captiver ? de donner à sentir que le vol est sous contrôle ? de donner envie de s’abandonner au voyage ? A chaque animateur son style, il n’y a pas de règle, il y a juste une réalité, celle de l’extrême délicatesse du commencement.
- Et puis bien sûr prendre particulièrement soin du plan d’animation pour les 30 premières minutes.
Alors oui, il est vrai que l’on peut rencontrer des facteurs, des évènements imprévus qui viennent nuire à la fluidité de ce que l’on avait bien préparé, pour que cette phase délicate soit justement « sous contrôle ». Une sono ou un vidéo projecteur qui ne marchent pas, une personne qui n’arrive pas, du matériel qui manque, un café brûlant renversé, une salle minuscule,…
Et c’est là justement qu’un fabuleux paradoxe survient : À vouloir que tout se passe « comme prévu », ou comme on pense que c’est bien pour le groupe et l’atelier, on peut à notre insu saborder ce précieux commencement. Les participants ne sachant rien du plan d’animation, ce qui compte dès lors c’est de prendre soin de leur envol, de danser avec ce qui est là, de tisser le plan et l’instant ensemble.
Il est un autre sens de ce mot délicatesse qui me semble important. On parle ainsi par exemple de « l‘extrême délicatesse de tons que prend le ciel au-dessus des eaux du lac ». Cela nous remmène au lien entre nos 5 sens et la délicatesse, la finesse ; ouvrir notre sensibilité, percevoir le subtil de ce commencement, le fragile, le « vibrant » du moment. Peut être comme un lien entre la délicatesse et « l’essence », mais en tous cas une invitation à explorer l’authenticité. Elle crée de la magie, je vous le garantis.
Début de Dune en version originale (recommandé) / Début de Dune en français